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samedi 31 octobre 2009

L'équipe de l'orphelinat

Il nous paraissait important de vous présenter l’équipe de l’orphelinat, et comme sur nos autres ‘billets’, d’essayer de relier la situation de l’orphelinat à la situation en Inde en général. A ce sujet, nous voudrions préciser que nous ne prétendons jamais vous dire LA vérité sur la situation indienne. Plusieurs membres de notre équipe ont vécu en Inde, et travaillent en relation avec l’Inde. De ce fait, nous pensons avoir un point de vue privilégié, mais en aucun cas exhaustif. N’hésitez pas à donner le votre en commentaire.

L’équipe de l’orphelinat est constituée de 4 personnes : Prema, sa belle-sœur Suma, et deux « servantes » (maids), Lakschmi et Shivamma.

Prema:
Prema et les enfants lors d'une sortie en plein air....

A 42 ans, Prema est la directrice du projet, elle porte la responsabilité d’ensemble, manage sa petite équipe et supervise les différentes dépenses réalisées.

Suma:
Suma est la femme du petit frère du mari de Prema, un médecin. Avec son mari et ses 3 enfants, elle habite dans le voisinage et vient à la maison avant et après l’école. Elle organise le soutien scolaire des enfants, parfois seule, et parfois avec Prema en partageant les enfants en deux groupes. Elle est aussi en charge de superviser la prise des médicaments. Le matin, elle aide les enfants à se changer et à se préparer, en vérifiant qu’ils n’oublient rien !

Lakshmi et Shivamma:
Lakshmi prépare le repas

Lakshmi a 28 ans, elle est originaire du village d’à côté, à 4 km de la ville de Siruguppa. Son mari est décédé il y a quelques années, et ses 2 enfants sont morts de maladie. Shivamma est la plus âgée du groupe avec quelques 65 ans (approximativement). Elle travaille depuis plus de 25 ans auprès de Prema et l‘a aidée à mettre ses enfants au monde. Lakshmi et Shivamma ne savent ni lire, ni écrire (Lakshmi a appris récemment à écrire son prénom en Kannada et en Anglais). Toutes deux sont en charge de l’entretien au quotidien de la maison : laver les vêtements, la maison, faire la cuisine, la vaisselle, donner à manger aux enfants, les laver, les tâches ne manquent pas ! Le soir, Lakshmi et Shivamma dorment juste à côté des enfants. Si l’un d’entre eux veut aller aux toilettes, elles sont là pour s’en occuper.

Shivamma applique une lotion dans les cheveux des enfants

A la maison, il y a également Shiny, la fille cadette de Prema, actuellement en seconde (10th standard selon le système scolaire indien). Steffi, la fille aînée de Prema est à Bangalore (environ 10 heures de bus de Siruguppa), où elle suit des études d’infirmière. Elle revient à la maison une semaine tous les 2 mois environ. Le fils de Prema est décédé voilà maintenant 2 ans d’une leucémie. Quelques heures par jour une autre « servante » payée par la maison s’occupe de tout ce qui relève de la famille.

Il faut savoir qu’en Inde, le « personnel de maison » est beaucoup plus courant qu’en Europe, et à un statut un peu différent. C’est un système qui est en fait encore très féodal, ce qui peut parfois présenter des avantages, mais qui bien sûr, peut faire des domestiques, et en particulier des femmes, des victimes de différentes formes d’exploitation. Toutefois, cela peut avoir des effets positifs, il est ainsi très courant que toute une famille loge sur place, et entretienne donc des liens très forts avec leurs « patrons ». C’est ainsi le cas de Shivamma, qui travaille à l’orphelinat. Toutefois, certains aspect de la domesticité en Inde sont choquants du point de vue européen, ou à tout point de vue d’ailleurs. Les affaires de viols ne sont malheureusement pas rares, de même que le travail des enfants. D’après un rapport du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), 40% du personnel de maison serait constitué de jeunes filles âgées de moins de 15 ans. Ce problème ne suscite encore que peu d’intérêt en Inde (ou au Pakistan, ou d’après mes observations, la situation est similaire), mais j’ai pu noté dans les dernières années que la question commençait à être véritablement prise en compte (malheureusement suite à certains scandales retentissants).

Pour en savoir plus, un article du journal The Hindu:
http://beta.thehindu.com/business/Economy/article17867.ece

The staff of 4 at Ingrid Jeevana Nava includes Prema, Suma, and two helpers: Lakshmi and Shivamma. Prema, 42 is the organization’s director and manager. Prema has become a community leader through her work with Hosa Balu. With a degree in Social Work, she has been extremely successful in counseling individuals and families, even those who are not devadasis. She has two daughters: Steffi who is a nursing student in Bangalore, and Shiny, a junior in high school (10th standard in the Indian school system). Her son died tragically two years ago from leukaemia. Suma, Prema’s sister-in-law, is a mother of three, and lives in the neighborhood. She comes to the orphanage in the morning to help prepare the children for school, and is present when they return from school in the afternoon. Prema and Suma share the responsibility of overseeing the children’s schoolwork. Suma is in charge of administering any medication the children might need.

Lakshmi is 28, and comes from a village 4 kilometers from Siruguppa. Her husband and two children are deceased. Shivamma, 65, has been with Prema for more than 25 years, and even helped with the birth of her children. Both Lakshmi and Shivamma are illiterate. They are in charge of maintaining the house, cooking, dishwashing, laundry, feeding and bathing the children. They sleep with the children, so there is supervision at all times.


lundi 26 octobre 2009

Présentation des fillettes de l'orphelinat

Une de nos petites pensionnaires

14 petites filles ont rejoint l’orphelinat, elles ont entre 4 et 7 ans. Pour la plupart, il s’agit de petites filles de devadasis, autrement dit de prostituées sacrées (intouchables). La plupart de leurs mamans sont soit en phase terminale du sida, soit déjà décédées. Les quelques filles qui ne sont pas de familles de devadasis ont des histoires plus que lourdes : la maman est morte, le papa alcoolique qui ne travaille pas envoie la fille de 4 ans mendier autour des maisons entre 6h et 9h du matin, puis autour de l’arrêt de bus pour qu’il ait à manger et qu’il puisse se soûler… Il s’apprêtait à la violer quand des travailleurs sociaux du village sont intervenus, pour aboutir à un accord de sa part pour qu’elle séjourne dans l’orphelinat. Une autre passait ses journées à ramasser les légumes pourris jetés par terre sur la place du marché pour avoir de quoi faire la cuisine pour sa grand-mère et elle-même. Après check-up, il est certain aujourd’hui qu’aucune des petites filles n’a le sida (condition d‘admission à l‘orphelinat), et aucune n’a été violée.

D’une façon générale, la situation des femmes, et des fillettes est assez difficile en Inde, même s’il ne faut pas toujours sombrer dans les clichés. Toute personne qui a visité l’Inde a pu voir que les femmes étaient présentes dans l’espace public, elles ont investi le marché du travail, et les hauts niveaux de la vie politique. Toutefois, il n’en demeure pas moins, qu’une grande partie des femmes indiennes souffrent de discrimination à tous les niveaux, et ceci avant même leur naissance. D’après le dernier recensement (2001), les femmes ne constituent que 48% de la population indienne, ce qui est une anomalie démographique importante. Ceci est en partie dû au fait du phénomène du ‘foeticide’, c'est-à-dire la sélection des embryons males. La volonté d’avoir des fils est liée à de nombreux facteurs, tout d’abord, religieusement, il est nécessaire pour les hindous d’avoir un fils, car c’est lui qui doit allumer le bucher funéraire. Ensuite, les filles quittent la maison pour rejoindre la famille de leur époux, elles ne sont que des ‘invitées’ dans leur famille, et ne participeront pas (du moins dans la conscience collective) aux revenus du foyer, elles seront au contraire un coût, au travers du phénomène de la dot (don d’argent de la famille de la mariée vers celle du marié lors du mariage). Toutes ces raisons font que les parents préfèrent avoir un fils, et s’ils ne sélectionnent pas les embryons, les études montrent que les dépenses de santé sont moindres pour les fillettes, de même que leur taux de scolarisation.

Ceci explique pourquoi Prema a choisi de se focaliser sur les fillettes, à la fois parce qu’elles courent plus de danger en tant que filles de devadasis (notamment risques d’être prostituées), mais aussi parce que d’une façon générale, les petites filles indiennes partent avec moins de chance dans la vie. Ceci ne veut pas dire que la vie soit facile pour les jeunes garçons de ces milieux, mais Prema avait conscience que la mixité risquait de poser des problèmes d’ici quelques années (quand les enfants deviendront adolescents), à la fois à l’intérieur de l’orphelinat (les cas de harcèlements sexuels d’écolières par leurs camarades de classe ne sont malheureusement pas rares), mais aussi vis-à-vis de la pression sociale de l’extérieur, le statut social de ces fillettes étant déjà, en dépit de leur jeune âge, compromis.


Pour plus d’informations sur les filles en Inde :
Unicef :
http://www.unicef.org/india/media_3285.htm

Le site du recensement indien : http://www.censusindia.gov.in/Census_And_You/gender_composition.aspx

La Banque Mondiale :
http://www.worldbank.org.in/WBSITE/EXTERNAL/COUNTRIES/SOUTHASIAEXT/INDIAEXTN/0,,contentMDK:21476335~pagePK:141137~piPK:141127~theSitePK:295584,00.html

English version (abbreviated)

Fourteen little girls, between the ages of 4 and 7, have been admitted to the orphanage. For the most part, they are daughters of devadasis, otherwise called “sacred prostitutes,” untouchable women who are either in the terminal stages of AIDS, or already deceased. (N.B. A pre-admission medical examination guarantees that no child in the orphanage has AIDS, and to date, none of them have been raped.)The girls whose mothers are not devadasis, have come from other problematic backgrounds. One child’s mother is deceased, and the father, alcoholic and unemployed. He was sending his four-year old daughter to beg for money in the village between 6 and 9 in the morning to buy food and… alcohol. He was in the verge of raping her when the village social workers intervened, and convinced him to let her go to the orphanage. Another child, whose mother is also deceased, spent her days foraging for vegetables left on the ground from the village market, in order to feed herself and her grandmother.

Generally speaking, the situation of women and girls in India is problematic. Anyone who has visited India can see that women are highly visible in the public arena: in the workplace and in high levels of political life. However, a great number of Indian women suffer from discrimination, even before their birth. According to the last census (2001), women constitute only 48% of the total population, which is a striking demographic anomaly. This is in part due to “foeticide”, or choosing to eliminate female foetuses. There are several reasons why a male child is preferred. The first is religious: the son lights the funeral pyre. Secondly, when a girl marries, she leaves the home to live with her husband’s family, and is henceforth considered a “guest” in her parents’ home. She no longer contributes to the economic revenue of their household, and because of dowry obligations to her husband’s family, she becomes a financial burden. For all these reasons, parents prefer having sons, and if they don’t select the sex of the child, in average they will spend less money for the health care and the education of girls. For these reasons, Prema has decided to focus on the girl children, both because, as devadasi daughters, they are destined to become prostitutes themselves, and also because girl children in India are distinctly disadvantaged. This does not mean that life is easy for young boys from this social milieu, but co-habitation in the orphanage of boys and girls could pose problems in the future (when the children become adolescent), inside the orphanage (cases of sexual harassment by male classmates are not unusual), as well as outside, where the social status of these girl children is already compromised.


samedi 10 octobre 2009

Chloé à l'orphelinat - Sept. 2009

Depuis 2004-2005, mon année passée en Inde, je suis retournée deux fois à la rencontre de ces gens avec lesquels jai partagé une certaine tranche de ma vie, à savoir ma vingtième année.


Pour être très honnête, la première fois, il y a deux ans, ce fut une expérience de la frustration, et ce à double titre. Retournant sur place avec mon mari, je nai pas eu le sentiment de réussir à partager avec lui mon vécu, et il a pris en grippe lInde. Quant à moi, cherchant à adapter le voyage à sa présence, je nai pas pris le temps de partager du temps avec les gens qui métaient chers sur place. Bref, jen conclus que je reviendrais, mais seule.


En ce mois de septembre, cette expérience a été pour moi comme passer sous le rideau dune cascade : en un instant partir dun monde, le mien, pour pénétrer celui du village de Siruguppa. Maîtrisant désormais lessentiel des codes du quotidien et de la langue, je me glisse comme un poisson dans leau dans ce mode de vie autre, où lon mange avec les mains et dort par terre, où il ny a pas deau courante et les coupures délectricités récurrentes. Mais ne vous y trompez pas, de mon point de vue, le confort de vie est fort pour moi sur place : pas de cuisine, de vaisselle, de ménage et autres corvées du quotidien


Mon séjour avait deux vocations : retrouver les gens que je connaissais et faire un point sur lorphelinat qui a ouvert cette année dans ma famille daccueil avec 14 petites filles de 4 à 7 ans.


Premiers sentiments : une admiration pour la qualité de vie de lorphelinat, où les petites filles sépanouissent, sourient et rient entourées dénormément daffection. Je dois dire que je suis énormément fière davoir permis à nos donateurs dy contribuer. En finançant un tiers des dépenses de lorphelinat, avec Siwol nous sommes un contributeur majeur du projet. Rythme de vie, entre sport, jeux et études, le tout avec une hygiène de vie incroyablement incomparable avec celle de leur milieu dorigine et beaucoup dattention et daffection. Bien sûr, tout nest pas parfait, lorsque les finances seront un peu moins justes, lalimentation pourra être enrichie, et Prema la directrice nest pas un as du reporting précis et rigoureux, même si elle fait des efforts certains. Mais ce que jen retiens, cest quà leur arrivée, les enfants ne souriaient pas et ne parlaient guère. Quelques unes des petites filles étaient dans un état de santé si déplorable quon peut imaginer que selon toute probabilité, par carence de soins sans le projet elles ne seraient plus là. Alors constater leurs explosions de plaisir et leur faire des câlins ne peut que memplir de joie.


Côté retrouvailles, en revanche, pour moi cest plus difficile. La caractéristique première que je ressens de la pauvreté ambiante de la région, lune des plus pauvres de lInde, ça nest pas lalimentation carencée des uns et des autres, ni létat de santé déplorable de tous, si souvent malades et de manière parfois grave. Tout ca, je my fais, si lon peut sexprimer ainsi. Non, pour moi, la pauvreté cest la violence et la mort, le mari qui ébouillante le vagin de son épouse, lautre qui veut assassiner sa femme, et les morts en pagaille, qui du présumé futur prof de musique de lorphelinat, qui de la famille dune des orphelines, qui le voisin atteint du sida. Toutes ces femmes qui ont pleuré dans mes bras durant ces quelques semaines, qui pour beaucoup nen peuvent plus, et pour certaines pensent sérieusement à se suicider. Pour deux ou trois, les nouvelles sont bonnes, mais cest plutôt lexception que la règle. « Ce nest pas ton monde, non, ce nest vraiment pas notre monde », dit Olivier, mon mari. Oui, et après ?


Un grand cri dans le vide. Et puis plus rien.

English version:
I spent 2004-2005, my twentieth year, in Siruguppa, India. Since then, I have returned twice to see the people with whom I shared this important life experience. My first visit turned out to be quite frustrating. My husband accompanied me. He disliked India, and I was unable to share with him the meaning of what I had experienced in 2004-2005. I was so preoccupied with making things pleasant for him that it was difficult for me to interact with my Indian friends with whom I had become extremely close. I decided that next time I would return alone.

I returned to Siruguppa again this September. The transition from my easy and comfortable world to one where there is no running water, frequent power shortages, where people eat with their fingers and sleep on the floor, was radical. However, since I am now totally familiar with Indian customs, and speak the local language (Kannada) fluently, I no longer feel like a fish out of water. And there is a certain compensation for all this apparent discomfort in not having to cook, wash dishes, and do other domestic chores!

The purpose of my trip was two-fold: to see my Indian friends, and to take stock of the orphanage which opened this year in my host family’s home, an orphanage which currently has 14 little girls aged 4 to 7.

What first struck me is the quality of life in the orphanage. The little girls are lively and happy, and are blossoming in an extremely affectionate environment. When they first arrived, they never smiled, and hardly spoke. A few of them were in such deplorable health they probably wouldn’t have survived had they not been admitted to the orphanage. It warmed my heart to see them so happy, and so open to affection from others. The regimen of studies, games, sports, and proper hygiene, along with lots of attention and affection, is a far cry from the life they left behind. Of course, things are not perfect, but when finances are on a more sure footing, there will be improvements, such as in the children’s nutrition. I must say I am proud to have encouraged our donors to contribute. Siwol is the orphanage’s primary sponsor, financing one-third of its expenses.

Returning to Siruguppa was, however, not entirely happy. There is widespread poverty in the region ( one of the poorest in India), malnutrition, disease (primarily AIDS), and other serious health-related problems. I dare say this might almost be tolerable, but compounded with domestic violence and death, the situation is truly dire. A man wants to murder his wife, another one succeeds, a husband pours boiling water on his wife’s vagina etc. Many of the women I saw during my visit were desperate, and tearfully told me they were seriously thinking of committing suicide. For a few of them, life is looking up, but they are the exception not the rule. “It’s not your world, no, it is really not our world, says Olivier, my husband. Maybe, but so what ?
A big cry in the dark. And then nothing.

- Chloé-