Depuis 2004-2005, mon année passée en Inde, je suis retournée deux fois à la rencontre de ces gens avec lesquels j’ai partagé une certaine tranche de ma vie, à savoir ma vingtième année.
Pour être très honnête, la première fois, il y a deux ans, ce fut une expérience de la frustration, et ce à double titre. Retournant sur place avec mon mari, je n’ai pas eu le sentiment de réussir à partager avec lui mon vécu, et il a pris en grippe l’Inde. Quant à moi, cherchant à adapter le voyage à sa présence, je n’ai pas pris le temps de partager du temps avec les gens qui m’étaient chers sur place. Bref, j’en conclus que je reviendrais, mais seule.
En ce mois de septembre, cette expérience a été pour moi comme passer sous le rideau d’une cascade : en un instant partir d’un monde, le mien, pour pénétrer celui du village de Siruguppa. Maîtrisant désormais l’essentiel des codes du quotidien et de la langue, je me glisse comme un poisson dans l’eau dans ce mode de vie autre, où l’on mange avec les mains et dort par terre, où il n’y a pas d’eau courante et les coupures d’électricités récurrentes. Mais ne vous y trompez pas, de mon point de vue, le confort de vie est fort pour moi sur place : pas de cuisine, de vaisselle, de ménage et autres corvées du quotidien…
Mon séjour avait deux vocations : retrouver les gens que je connaissais et faire un point sur l’orphelinat qui a ouvert cette année dans ma famille d’accueil avec 14 petites filles de 4 à 7 ans.
Premiers sentiments : une admiration pour la qualité de vie de l’orphelinat, où les petites filles s’épanouissent, sourient et rient entourées d’énormément d’affection. Je dois dire que je suis énormément fière d’avoir permis à nos donateurs d’y contribuer. En finançant un tiers des dépenses de l’orphelinat, avec Siwol nous sommes un contributeur majeur du projet. Rythme de vie, entre sport, jeux et études, le tout avec une hygiène de vie incroyablement incomparable avec celle de leur milieu d’origine et beaucoup d’attention et d’affection. Bien sûr, tout n’est pas parfait, lorsque les finances seront un peu moins justes, l’alimentation pourra être enrichie, et Prema la directrice n’est pas un as du reporting précis et rigoureux, même si elle fait des efforts certains. Mais ce que j’en retiens, c’est qu’à leur arrivée, les enfants ne souriaient pas et ne parlaient guère. Quelques unes des petites filles étaient dans un état de santé si déplorable qu’on peut imaginer que selon toute probabilité, par carence de soins sans le projet elles ne seraient plus là. Alors constater leurs explosions de plaisir et leur faire des câlins ne peut que m’emplir de joie.
Côté retrouvailles, en revanche, pour moi c’est plus difficile. La caractéristique première que je ressens de la pauvreté ambiante de la région, l’une des plus pauvres de l’Inde, ça n’est pas l’alimentation carencée des uns et des autres, ni l’état de santé déplorable de tous, si souvent malades et de manière parfois grave. Tout ca, je m’y fais, si l’on peut s’exprimer ainsi. Non, pour moi, la pauvreté c’est la violence et la mort, le mari qui ébouillante le vagin de son épouse, l’autre qui veut assassiner sa femme, et les morts en pagaille, qui du présumé futur prof de musique de l’orphelinat, qui de la famille d’une des orphelines, qui le voisin atteint du sida. Toutes ces femmes qui ont pleuré dans mes bras durant ces quelques semaines, qui pour beaucoup n’en peuvent plus, et pour certaines pensent sérieusement à se suicider. Pour deux ou trois, les nouvelles sont bonnes, mais c’est plutôt l’exception que la règle. « Ce n’est pas ton monde, non, ce n’est vraiment pas notre monde », dit Olivier, mon mari. Oui, et après ?
Un grand cri dans le vide. Et puis plus rien.
English version:
I spent 2004-2005, my twentieth year, in Siruguppa, India. Since then, I have returned twice to see the people with whom I shared this important life experience. My first visit turned out to be quite frustrating. My husband accompanied me. He disliked India, and I was unable to share with him the meaning of what I had experienced in 2004-2005. I was so preoccupied with making things pleasant for him that it was difficult for me to interact with my Indian friends with whom I had become extremely close. I decided that next time I would return alone.
I returned to Siruguppa again this September. The transition from my easy and comfortable world to one where there is no running water, frequent power shortages, where people eat with their fingers and sleep on the floor, was radical. However, since I am now totally familiar with Indian customs, and speak the local language (Kannada) fluently, I no longer feel like a fish out of water. And there is a certain compensation for all this apparent discomfort in not having to cook, wash dishes, and do other domestic chores!
The purpose of my trip was two-fold: to see my Indian friends, and to take stock of the orphanage which opened this year in my host family’s home, an orphanage which currently has 14 little girls aged 4 to 7.
What first struck me is the quality of life in the orphanage. The little girls are lively and happy, and are blossoming in an extremely affectionate environment. When they first arrived, they never smiled, and hardly spoke. A few of them were in such deplorable health they probably wouldn’t have survived had they not been admitted to the orphanage. It warmed my heart to see them so happy, and so open to affection from others. The regimen of studies, games, sports, and proper hygiene, along with lots of attention and affection, is a far cry from the life they left behind. Of course, things are not perfect, but when finances are on a more sure footing, there will be improvements, such as in the children’s nutrition. I must say I am proud to have encouraged our donors to contribute. Siwol is the orphanage’s primary sponsor, financing one-third of its expenses.
Returning to Siruguppa was, however, not entirely happy. There is widespread poverty in the region ( one of the poorest in India), malnutrition, disease (primarily AIDS), and other serious health-related problems. I dare say this might almost be tolerable, but compounded with domestic violence and death, the situation is truly dire. A man wants to murder his wife, another one succeeds, a husband pours boiling water on his wife’s vagina etc. Many of the women I saw during my visit were desperate, and tearfully told me they were seriously thinking of committing suicide. For a few of them, life is looking up, but they are the exception not the rule. “It’s not your world, no, it is really not our world, says Olivier, my husband. Maybe, but so what ?
A big cry in the dark. And then nothing.
- Chloé-