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lundi 30 novembre 2015

Les femmes



Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises le choix de Prema, la directrice de l’orphelinat, de n’accueillir que des filles, ainsi que les difficultés particulières que peuvent rencontrer les femmes. Aujourd’hui, nous voulions consacrer un post entier à cette question, pour mieux expliciter notre choix de travailler avec une organisation qui cible spécifiquement les femmes et les filles, tout en essayant de dépasser certains stéréotypes.

Eduquer les filles, une priorité de Siwol et de l'orphelinat
Vu de France, on fait souvent face à des représentations des femmes indiennes comme étant nécessairement des victimes. Le ratio hommes/femmes est à lui tout seul évocateur de fortes inégalités ; 933 femmes pour 1000 hommes selon le recensement de 2001 en Inde. Toutefois, lorsque l’on parle des « femmes en Inde », il est important d’être nuancé et de comprendre que les difficultés (et forces) des femmes ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre, d’un groupe social à l’autre ou encore entre les milieux urbains et ruraux. C’est pour cela que nous vous proposons d’aborder ce sujet à partir de Siruguppa, la ville où se trouve l’orphelinat, et du point de vue d’une de nos membres Chloé qui y a vécu un an. Comme nous avons beaucoup de choses à dire, nous ferons ce post en deux parties.

Chloé : « Un point qui m’a frappé lors de mon premier séjour était de ressentir très fortement un sentiment d’appartenance à la communauté des femmes. J’avais 20 ans à l’époque, et je n’avais jamais trop ressenti cela en France jusqu’alors. Je me rappelle particulièrement une matinée où nous étions 80 femmes dans une salle, pour une réunion de « professeures des écoles maternelles » à laquelle je participais. Nous étions toutes installées en tailleur, assises à même le sol et c’est une des premières fois que je me suis vraiment sentie d’abord définie comme une femme.
Un moment de sociabilité féminine: le henné (mehndi)
Il faut dire qu’en Inde, comme en France d’ailleurs, il existe beaucoup de règles qui définissent ce qu’est être une femme (ou un homme). Et très souvent, les hommes et les femmes se mélangent peu, surtout en milieu rural. A l’école il y a les filles d’un côté de la classe et les garçons de l’autre, et ce dès la maternelle. Au cinéma, il y a des places réservées aux femmes et une file d’attente spécifique aux femmes pour commander les billets. Aujourd’hui encore conduire une moto n’est pas envisageable pour une femme à Siruguppa. Un certain nombre d’hommes se réunissent régulièrement dans des sortes de bars pour boire de l’alcool le soir : les femmes ne sont pas admises dans ces lieux et il n’est pas acceptable pour une femme dite « respectable » de fumer en public (mais on peut voir des femmes le faire, notamment lorsqu’elles sont âgées et appartiennent à des groupes sociaux marginalisés). Ce ne sont pas des règles valables « partout en Inde » : il y a d’énormes différences entre les milieux urbains et ruraux, et entre les différents États de l’Inde. Un point qui m’a surpris est que la même personne ne respectait pas la même règle en fonction des lieux où elle se trouvait. Par exemple des amis de la famille de Prema habitaient Bombay et étaient musulmans. Dans leur quartier, les femmes portaient systématiquement la burqa, mais pas lorsqu’elles allaient dans d’autres quartiers de la ville, ou ailleurs en Inde.
Un moment de détente à l'extérieur...
Bien évidemment, ces règles évoluent au fil du temps. Par exemple en 2003 à Siruguppa une femme a décidé de s’octroyer le droit de conduire un scooter. C’était l’une des salariées de Hosa Balu, l’association où je travaillais à l’époque. Les fois suivantes où je suis retournée à Siruguppa, elles étaient de plus en plus nombreuses. Un point qui m’avait frappé était que l’évolution ne venait pas forcément de là où j’aurais pu l’imaginer : il s’agissait d’une femme d’origine musulmane et de milieu social assez moyen, et sur place le quartier musulman n’avait pas la réputation d’être le plus progressiste sur la place des femmes. Au fil des années j’ai vu que la consommation d’alcool par les femmes se « libéralisait » : en 2003 les femmes de milieux extrêmement pauvres buvaient de l’alcool de palme, mais aucune autre femme consommait de l’alcool. J’ai partagé quelques verres de vin avec Prema à la maison ou lorsque nous étions en milieu urbain, mais ce n’était pas envisageable avec d’autres femmes de Siruguppa, alors qu’aujourd’hui c’est accepté dans le cadre des maisons... Mais est-ce un progrès que la consommation de l’alcool et du tabac se généralise ? La réponse n’est pas simple…
Une petite fille agite un drapeau à l'occasion de la journée internationale des femmes (Delhi: 8/03/2015)
En réalité, les règles sont souvent négociables, notamment pour les femmes qui ont acquis un certain statut (que ce soit par leur âge, leur profession, leur caste, leur charisme personnel, etc.). Si l’on y réfléchit, ce principe est également valable chez nous, c’est juste qu’il ne s’applique pas sur les mêmes règles : si je décide d’aller en short au bureau au mois d’août, les gens seront surpris ou gênés mais les conséquences seront minimes par rapport à si j’allais travailler en maillot de bain au bureau. Deuxième point, si un intérimaire va travailler en short, il ne prend pas le même risque qu’une personne en CDI : la capacité à faire des entorses aux règles est en grande partie liée au statut de la personne et aux enjeux qui sont les siens à un moment donné. »
A suivre….