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lundi 14 février 2011

Les devadasis


Le mot « devadasi » revient de façon régulière sur ce blog, et nous ne l’avons jamais vraiment explicité. Sans doute parce que c’est un sujet très controversé, et c’est pourquoi je tiens à préciser que si ce que je vais écrire par la suite s’appuie sur mes lectures, mes rencontres, des discussions avec des personnes mieux informées, mais ne prétend pas être « la vérité » sur ce sujet difficile.

Le terme devadasi provient des mots « deva/i » et « dasi » qui signifient dieu/déesse, et servante en sanskrit. Il s’agissait originellement de danseuses de temples, et elles étaient particulièrement répandues au sud de l’Inde. Leurs origines sont mal connues (et controversées), mais il s’agit d’une pratique ancienne (sans doute dès le VIème siècle, avec une apogée entre le Xème et XVème siècle). Pour certains, ces femmes avaient accès à une éducation particulièrement raffinée, à la haute culture, et jouissaient d’une liberté et d’un statut rare pour les femmes à cette époque. Pour d’autres, cela a toujours été un système masquant l’exploitation sexuelle des femmes, sous prétexte de religion. Ces deux explications sont deux extrêmes d’un statut qui devait certainement varier selon les époques, les régions, et les personnes.
Sauf mention contraire, toutes les photos sont des photos des temples de Kajuraho (Madhya Pradesh)

En revanche, il est certain que dans la période allant de la fin du 19ème siècle à l’indépendance de l’Inde (1947), la situation des devadasis s’est très rapidement détériorée. Plusieurs facteurs et acteurs sont ici à mettre en cause ; les colonisateurs, le mouvement de réforme sociale (puis féministe indien) et enfin le mouvement nationaliste. Tous ces acteurs voyaient les devadasis uniquement à travers le prisme de la prostitution, et ont donc milité, pour son abolition. Si les intentions étaient peut-être bonnes, l’interdiction des devadasis, qui s’est faite sous couvert de la protection des femmes, a en fait détérioré leurs conditions de vie ; stigmatisées comme prostituées, rendues vulnérables par leur illégalité, elles n’avaient souvent plus d’autre choix que la prostitution, et pouvaient être victimes de chantages, d’attaques, etc..

Le système a toutefois perduré. Aujourd’hui, lorsqu’elles ont entre six et dix ans, les filles de devadasis sont consacrées au temple du village, à la déesse Yelamma, lors d’une cérémonie désormais cachée. Les fillettes sont parées de beaux vêtements, couvertes de fleurs avant d’aller au temple où elles seront consacrées ; c'est-à-dire « mariées » à la divinité. A leur puberté, leur virginité est vendue à un homme qui peut éventuellement devenir un client régulier. Ce système a donc abouti à un système de prostitution sous couvert de religiosité; les jeunes filles sont d’ailleurs parfois revendues à des maisons closes opérant dans les grandes villes. La fonction de devadasi est désormais réservée aux femmes intouchables ou de basses castes ; elles vivent souvent à part dans les villages. La contraception étant encore assez peu répandue, elles ont souvent 3 ou 4 enfants, et peuvent par ailleurs contracter des maladies sexuellement transmissibles, notamment le HIV/Sida. Certaines ont encore des fonctions religieuses, mais cela n’est plus central dans leur quotidien.
Ce système se maintient à la fois du fait de la pauvreté, des traditions, et de la religion (une jeune fille qui ne se consacre pas au temple risque de mécontenter la divinité et d’attirer le mauvais sort sur sa famille). Par ailleurs, traditionnellement une fille doit se marier, mais cela est difficile pour une fille de devadasi, qui n’a pas de dot, et souffre d’un stigmate social. Reprendre la profession de sa mère permet à une jeune fille de s’assurer un revenu, tout en étant rituellement « mariée ». Pour les mères, c'est aussi l'assurance que leur fille pourra subvenir à leurs besoins dans leurs vieux jours. Dans les zones rurales où le système persiste, les seuls emplois possibles pour les femmes sont les travaux des champs ; or ceux-ci ne permettent pas de vivre après la moisson, et en raison des sécheresses extrêmes (47°C dans le nord du Karnataka en août 2005), les récoltes sont de moins en moins bonnes. Une partie des devadasis se tourne vers les travaux de construction (elles assistent les hommes sur les chantiers) ou ouvrent de petites échoppes.

Pour finir sur une note plus positive, un certain nombre d’organisations, issues de la société civile, cherchent à venir en aide à ses femmes. Les urgences sont bien sûr la santé et l’économie, toutefois, beaucoup de ces organisations sont aussi conscientes de la nécessité de revaloriser ces femmes sur le plan social et culturel, de leur donner accès à l’éducation, notamment pour les filles de devadasis. C’est ce à quoi s’attache l’orphelinat Ingrid Neeva Jeevana, qui accueille les filles de famille de devadasis (il faut toutefois noter que toutes les filles ne viennent pas de telles famille), et en leur donnant une éducation, en les intégrant pleinement à la vie de la ville, leur donne l’opportunité d’avoir un vrai futur.


Sculptures dans un temple d'Udaipur (Rajasthan)