Lorsque l’on pense au cinéma indien en France, on pense surtout au
cinéma dit de « Bollywood », terme obtenu par la fusion entre
Hollywood et Bombay, la capitale de l’État indien du Maharastra (aujourd’hui
Mumbai). Ce terme renvoie à des films bien caractéristiques ; en hindi (ou
plutôt en ourdou), généralement assez longs (il est courant d’avoir un
entracte), et comprenant des numéros de chant et de danse. Les thèmes les plus
fréquents sont les amours contrariées de jeunes gens, mais il existe de nombreux
sous-genres (le film policier, d’espionnage, d’horreur.). Il s’agit d’une
industrie cinématographique particulièrement prolifique (environ 1 200 films
par an) et rentable. Elle s’exporte bien à l’étranger, que ce
soit dans les autres pays de l’Asie du sud, au Maghreb et en Afrique mais aussi
en Europe, où l’on croise de plus en plus de fans de Bollywood.
Affiche du film Devdas (1955) de B. Roy, de nombreuses versions de cette tragédie existent, dans diverses langues indiennes |
Bollywood est toutefois loin de résumer le cinéma indien. Il existe en
effet bien d’autres types de productions cinématographiques ; des films d’auteur
(qui ont parfois du mal à se faire une place), mais aussi une industrie
cinématographique régionale, puisque l’Inde est un pays
marqué par le multilinguisme. Ainsi, il existe une industrie cinématographique
en kannada, la langue parlée au Karnataka, où se situe l’orphelinat. Les films
sont produits à Bangalore, et on appelle cette industrie « Chandanavana »
en kannada ou « Sandalwood ». Toutefois, à Siruguppa, les films diffusés
sont souvent des films de Tollywood, c’est-à-dire en télougou. Cette industrie
est plus développée, et les films sont considérés comme étant de meilleure
qualité.
La ville de Siruguppa ne compte pas moins de 7 cinémas, avec des
nombreuses séances tout au long de la journée. Les salles sont bondées, et
les billets premiers prix étant accessibles, c’est un loisir populaire,
rassemblant les familles d’ouvriers agricoles (familles très pauvres), comme la
« classe moyenne ». Les « notables » quant à eux ne
fréquentent pas les salles de cinéma, mais leurs enfants peuvent y aller. Les fillettes de l’orphelinat y vont
parfois, en étant accompagnées de l’une des filles (majeures) de la directrice
Prema Kundargi ou d’une partie de l’équipe de l’orphelinat. Prema estime qu'il ne serait pas convenable d'y aller, pour une femme de son âge et de son statut.
Affiche du film en télougou Attarintiki Daredi (2013) (c): Sri Venkateswara Cine Chitra. |
Un peu comme à l’opéra ou au théâtre en France, il y a différents types de fauteuils, et donc
de prix. Les rangées en haut (au « balcon ») sont plus chères que
celles du bas, et ne sont pas fréquentées par le même milieu social. Il y a aussi
des rangées réservées aux spectatrices et toutes les femmes qui y vont entre amies
(sans leur mari) s’y installent. Il ne serait pas jugé respectable pour elles
de s’asseoir au milieu des hommes sans être entourée d’une présence masculine. Chloé,
volontaire il y a une dizaine d’année à Siruguppa se souvient qu’elle ne
pouvait s’assoir qu’au balcon, avec d’autres femmes. Les places les moins
chères coûtaient alors environ 11 roupies. Sachant que les hommes journaliers
pouvaient alors gagner 80 roupies par jour, et les femmes 40, le cinéma était
accessible, mais représentait tout de même un budget important (si l’on y
emmène toute sa famille).
Les séances de cinéma se font en deux temps, avec un entracte au milieu
au cours de laquelle les gens s’achètent des snacks, du thé, voire de l’alcool
de palme pour les hommes. Pendant le film, le public est loin d’être
passif : cris, rires, encouragements criés aux acteurs, le spectacle est
dans la salle autant que sur l’écran (même si aujourd’hui, dans les cinémas
climatisés des grandes villes, on retrouve une ambiance beaucoup plus proche de
nos salles françaises). Cette ambiance peut déconcerter au premier abord, mais
elle fait aussi partie du plaisir du cinéma en Inde. C’est aussi (comme dans d'autres pays) un lieu de rencontre pour les jeunes gens, ce qui peut expliquer qu’à
l’heure où de plus en plus de familles ont les moyens de regarder des films
chez eux, et où les copies piratées circulent abondamment, le cinéma reste un
lieu important de la vie sociale indienne.