Nous avons déjà évoqué à
plusieurs reprises le choix de Prema, la directrice de l’orphelinat, de
n’accueillir que des filles, ainsi que les difficultés particulières que
peuvent rencontrer les femmes. Aujourd’hui, nous voulions consacrer un post
entier à cette question, pour mieux expliciter notre choix de travailler avec
une organisation qui cible spécifiquement les femmes et les filles, tout
en essayant de dépasser certains stéréotypes.
Eduquer les filles, une priorité de Siwol et de l'orphelinat |
Vu de France, on fait souvent
face à des représentations des femmes indiennes comme étant nécessairement des
victimes. Le ratio hommes/femmes est à lui tout seul évocateur de fortes
inégalités ; 933 femmes pour 1000 hommes selon le recensement de 2001 en
Inde. Toutefois, lorsque l’on parle des « femmes en Inde », il est
important d’être nuancé et de comprendre que les difficultés (et forces)
des femmes ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre, d’un groupe
social à l’autre ou encore entre les milieux urbains et ruraux. C’est pour cela
que nous vous proposons d’aborder ce sujet à partir de Siruguppa, la ville où
se trouve l’orphelinat, et du point de vue d’une de nos membres Chloé qui y a vécu un
an. Comme nous avons beaucoup de choses à dire, nous ferons ce post en deux
parties.
Chloé : « Un point qui m’a frappé lors de mon premier séjour
était de ressentir très fortement un sentiment d’appartenance à la
communauté des femmes. J’avais 20 ans à l’époque, et je n’avais jamais trop
ressenti cela en France jusqu’alors. Je me rappelle particulièrement une
matinée où nous étions 80 femmes dans une salle, pour une réunion de
« professeures des écoles maternelles » à laquelle je participais.
Nous étions toutes installées en tailleur, assises à même le sol et c’est une
des premières fois que je me suis vraiment sentie d’abord définie comme une
femme.
Un moment de sociabilité féminine: le henné (mehndi) |
Il faut dire qu’en Inde, comme en France d’ailleurs, il existe beaucoup
de règles qui définissent ce qu’est être une femme (ou un homme). Et très
souvent, les hommes et les femmes se mélangent peu, surtout en milieu rural. A
l’école il y a les filles d’un côté de la classe et les garçons de l’autre, et
ce dès la maternelle. Au cinéma, il y a des places réservées aux femmes et une
file d’attente spécifique aux femmes pour commander les billets. Aujourd’hui
encore conduire une moto n’est pas envisageable pour une femme à Siruguppa. Un
certain nombre d’hommes se réunissent régulièrement dans des sortes de bars
pour boire de l’alcool le soir : les femmes ne sont pas admises dans ces
lieux et il n’est pas acceptable pour une femme dite « respectable »
de fumer en public (mais on peut voir des femmes le faire, notamment
lorsqu’elles sont âgées et appartiennent à des groupes sociaux marginalisés).
Ce ne sont pas
des règles valables « partout en Inde » : il y a d’énormes
différences entre les milieux urbains et ruraux, et entre les différents États
de l’Inde. Un point qui m’a surpris est que la même personne ne respectait pas
la même règle en fonction des lieux où elle se trouvait. Par exemple des amis de
la famille de Prema habitaient Bombay et étaient musulmans. Dans leur quartier,
les femmes portaient systématiquement la burqa, mais pas lorsqu’elles allaient
dans d’autres quartiers de la ville, ou ailleurs en Inde.
Un moment de détente à l'extérieur... |
Bien évidemment, ces règles évoluent au fil du temps. Par
exemple en 2003 à Siruguppa une femme a décidé de s’octroyer le droit de
conduire un scooter. C’était l’une des salariées de Hosa Balu, l’association où
je travaillais à l’époque. Les fois suivantes où je suis retournée à Siruguppa,
elles étaient de plus en plus nombreuses. Un point qui m’avait frappé était que
l’évolution ne venait pas forcément de là où j’aurais pu l’imaginer : il
s’agissait d’une femme d’origine musulmane et de milieu social assez moyen, et
sur place le quartier musulman n’avait pas la réputation d’être le plus
progressiste sur la place des femmes. Au fil des années j’ai vu que la
consommation d’alcool par les femmes se « libéralisait » : en
2003 les femmes de milieux extrêmement pauvres buvaient de l’alcool de palme,
mais aucune autre femme consommait de l’alcool. J’ai partagé quelques verres de
vin avec Prema à la maison ou lorsque nous étions en milieu urbain, mais ce
n’était pas envisageable avec d’autres femmes de Siruguppa, alors qu’aujourd’hui
c’est accepté dans le cadre des maisons... Mais est-ce un progrès que la
consommation de l’alcool et du tabac se généralise ? La réponse n’est pas
simple…
Une petite fille agite un drapeau à l'occasion de la journée internationale des femmes (Delhi: 8/03/2015) |
En réalité, les règles sont souvent négociables, notamment pour les
femmes qui ont acquis un certain statut (que ce soit par leur âge, leur
profession, leur caste, leur charisme personnel, etc.). Si l’on y réfléchit, ce
principe est également valable chez nous, c’est juste qu’il ne s’applique pas
sur les mêmes règles : si je décide d’aller en short au bureau au mois
d’août, les gens seront surpris ou gênés mais les conséquences seront minimes
par rapport à si j’allais travailler en maillot de bain au bureau. Deuxième
point, si un intérimaire va travailler en short, il ne prend pas le même risque
qu’une personne en CDI : la capacité à faire des entorses aux règles est
en grande partie liée au statut de la personne et aux enjeux qui sont les siens
à un moment donné. »
A suivre….