En novembre
dernier, nous vous avions parlé de notre choix de concentrer notre action sur
les femmes et les filles (clic). Nous vous avions promis plus de détails, et puis l’actualité
avait pris le dessus. Mais nous revoilà pour quelques informations complémentaires,
centrées cette fois sur la place des femmes dans la famille. Comme dans le
précédent post, il s’agit avant tout du point de vue, forcément subjectif, de
Chloé qui a vécu un an à Siruguppa.
Les filles travaillent ensemble |
Il faut préciser qu’en Inde, le droit familial est
« communautaire », c’est-à-dire qu’hindous, musulmans et chrétiens
(ainsi que d’autres communautés) appliquent des règles de droits différentes en
matière de mariage, succession et adoption notamment. Le code civil hindou (qui
concerne une majorité des habitants de Siruguppa) est aujourd’hui plutôt
égalitaire « sur le papier », mais l’application reste
compliquée ; par exemple il est courant pour les filles de renoncer à leur
part d’héritage, sous la pression, plus ou moins appuyée de leur famille….
Sur la place des femmes dans la famille, Chloé se souvient
qu’elle a rencontré bien des femmes qui vivaient des situations personnelles
très difficiles. Elle nous dit : « beaucoup de femmes que j’ai pu
rencontrer avaient été victimes à un moment ou l’autre de violence conjugale.
Même si la violence domestique est un crime en Inde, il est souvent difficile à
ces femmes de porter plainte, à la fois du fait du manque de bonne volonté de
la police, mais aussi parce que c’est stigmatisant socialement. Aujourd’hui
encore il y a très peu de divorces à Siruguppa, et c’est extrêmement mal
vu… »
Un graffiti féministe à Delhi (photo personnelle de l'auteure) |
En effet, le système familial est le plus souvent
patriarcal (même s’il y a des communautés matriarcales en Inde) et patrilocal.
Cela veut dire que le plus souvent, les femmes s’installent dans la famille de
leur mari, prennent son nom et les enfants portent le nom du père (ces deux
derniers points se retrouvent d’ailleurs dans de nombreux pays, comme la
France). En cas de décès des deux parents, les enfants sont de la
responsabilité de la famille du père. C’est d’ailleurs un sujet qui pose
problème pour les familles de devadasis, dont sont originaires un
certain nombre de filles de l’orphelinat. Elles n’ont pas de père connu (en
tout cas pas officiellement), et en cas de décès de leur mère, elles ne sont donc la
responsabilité de personne…
Cependant, encore une fois, cela ne veut pas dire que les
femmes n’aient aucune position dans leur famille. Comme nous le dit Chloé,
« déjà en 2003, j’avais été très surprise de constater la grande maîtrise
des naissances par les femmes. Personne n’utilisait de préservatif (ce qui
s’est amélioré depuis heureusement, notamment pour un certain nombre de
devadasis), mais les femmes avaient l’habitude de se faire opérer pour une
ligature des trompes après 2 voire 3 naissances, et ce de façon volontaire,
même si les cas de stérilisations forcées sont assez fréquents dans le reste de
l’Inde. De ce fait, à Siruguppa, les familles de plus de 3 enfants sont ainsi
rarissimes. »
Manifestation féministe à Delhi, 2016 (photo personnelle de l'auteure) |
Par ailleurs, les femmes s’organisent et s’entraident.
Ainsi, Chloé a pu observer que Prema était reconnue comme un leader des femmes
à Siruguppa et dans la région, et régulièrement les gens venaient la consulter
pour essayer de résoudre des difficultés dans les relations entre les hommes et
les femmes. Elle était d’ailleurs aussi bien sollicitée par les femmes
directement concernées, que par des pères, des frères, des sœurs, des mères. Pour
Chloé, entendre ces histoires douloureuses n’était pas toujours évident, mais
en revanche elle appréciait d’entendre Prema proposer des solutions, et de
voir les familles évoluer en mettant en place certaines pistes proposées. Ça
n’était pas une écoute impuissante, mais une écoute constructive permettant de
dénouer des situations inextricables. Les pistes portaient aussi bien sur des
interventions du comité d’anciens de la caste ou de la religion, sur des
discussions de Prema avec l’homme concerné, sur des sollicitations de la
police, des interventions au travail du Monsieur, auprès des parents du
Monsieur, un retour temporaire de Madame dans sa famille : toute une palette de
propositions sur mesure en fonction des situations. Un conseil fréquent de
Prema : les femmes ont intérêt à travailler pour avoir une indépendance
financière…
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